jeudi 17 mars 2011

[Archive] Où est le journalisme ?

(Ceci est une copie d'un article précédemment posté ici, comme expliqué ). 

Vendredi 11 mars, un très violent tremblement de terre a eu lieu au large des côtes japonaises, au niveau de la ville de Sendai. Les images de cette secousse et du raz-de-marée qu'il a engendré ont fait le tour du monde, mais les dizaines, centaines de milliers de personnes touchées par cet événement ont rapidement été oubliées.

Très vite, l'attention internationale s'est focalisée sur la situation des réacteurs nucléaires situées dans la préfecture de Fukushima. La situation y est-elle grave ? Sans aucun doute, oui. Est-elle plus préoccupante que la situation des sinistrés ? La question mériterait d'être posée sérieusement.

Chaque reportage sur ces centrales ne peut s'empêcher de faire une comparaison avec Tchernobyl. Puisque cela semble un passage obligé, faisons une brève comparaison.

A l'époque, le fameux nuage avait passé les frontières, malgré les messages rassurant des autorités. Ce décalage serait apparemment suffisant pour douter des autorités japonaises.

En 1986, les compteurs Geiger existaient. Rien n'empêchait donc un journaliste de s'équiper et de vérifier sur le terrain si les messages correspondaient à la réalité. Je n'avais que quatre ans à l'époque, mais il ne me semble pas que la ligne officielle avait été fortement remise en cause.

L'histoire de ce nuage serait-il donc autant un mensonge des autorités qu'un échec des journalistes de l'époque ? Cela expliquerait la remise en cause des messages émis en ce moment au Japon.

La plus grosse différence est que, cette fois-ci, des mesures indépendantes existent, et certaines sont accessibles en ligne. Jusqu'à preuve du contraire, les niveaux relevés à Tokyo par les autorités et par les points de mesure indépendants concordent, et ne sont à l'heure actuelle pas inquiétant.

La position de la plupart des ambassades est d'ailleurs sur la même ligne que les autorités japonaises. Canada, Royaume-Uni et Etats-Unis suivent la situation de près, en raison du nombre de leurs ressortissants sur place. Tous font confiance à la gestion japonaise.

Le conseiller scientifique du gouvernement britannique, Sir John Beddington, explique par exemple, après discussion avec des experts, que Tokyo n'est pas menacée, même si les vents tournaient.

Ces experts sont-ils crédibles ? Si ils le sont, nous sommes en droit de nous demander pourquoi cette information n'est pas reprise plus largement, en France et ailleurs.
Si ils ne sont pas crédibles, ne serait-il pas dans le rôle des journalistes de nous expliquer pour quelles raisons, de les interroger de façon précise, de les amener à admettre ce supposé manque de crédibilité ?

L'ambassade française diffuse des messages plus pessimistes que les autres représentations officielles. Est-ce parce que les experts français sont plus compétents, ou mieux informés ?

Des français encore présents à Tokyo (oui, il y en a) ont participé à une réunion d'information à laquelle était présente, selon les témoignages circulant en ligne, un ingénieur français dépêché sur place, et spécialiste de la gestion des crises dues aux incidents nucléaires.

Cet ingénieur aurait assuré que la communication de la société TEPCO est fiable, et que Tokyo n'est pas menacée, et ce même si les vents changeaient de direction. Cela ressemble fortement à l'analyse britannique. Cette information a-t-elle été reprise ? La véracité de ces témoignages et la crédibilité de l'expert ont-elles été vérifiées ? A-t-on cherché à comprendre l'attitude de l'ambassade à la lumière de ces déclarations ?

Les français encore au Japon, leurs familles en France, et le pays dans son ensemble, auraient apprécié l'effort.

Je lis ici ou là que les messages officiels ne seraient pas crédibles car ils chercheraient à minimiser la gravité de la situation, par exemple pour sauver la filière du nucléaire civil. Permettez-moi de douter de cela.

Je suis suffisamment cynique pour considérer que lors de petits incidents, les personnes responsables soient tentées par de telles mesures, et y aient parfois recours.

Il faut néanmoins être réaliste. La situation actuelle ne se prête à ce genre d'arrangements. Il est évident que, une fois la crise terminée, la direction de TEPCO aura beaucoup de mal à rester en place. L'accident est allé trop loin, et a duré trop longtemps, pour que la page soit tournée si simplement. Qui pourrait croire qu'ils n'en sont pas conscient ?

De même Naoto Kan ne se fait probablement pas d'illusion sur son avenir politique. Avant le tremblement de terre, il n'était qu'à quelques heures ou jours de perdre sa place. Etant donnée la durée de vie des gouvernements japonais, sa carrière risque de prendre fin en même temps que la crise actuelle. Minimiser les risques n'y changera rien.

Il ne s'agit plus de mentir pour couvrir une petite fuite qui serait sans grand danger pour la population autour d'une centrale encore en activité. La centrale ne sera plus utilisable. Une zone de 20km a été évacuée. Le monde entier suit l'évolution. Il n'y a plus rien à minimiser. Je ne peux me résoudre à penser que ces officiels seraient prêts à laisser les habitants de Tokyo en danger pour sauver une carrière déjà condamnée.

Il est intéressant, enfin, de se rappeler novembre 2005, et la surprise devant la réaction internationale face aux émeutes dans les banlieues. On s'étonnait de voir les Etats-Unis, la Russie, le Royaume-Uni, ou encore le Canada, recommander la prudence à leur ressortissants. On se lamentait du traitement sensationnaliste de certains médias étrangers, et on critiquait même parfois l'attitude de leurs envoyés spéciaux.

Presque six ans plus tard les japonais, et les résidents étrangers dans le pays, s'étonnent d'entendre parler de panique à Tokyo, d'apocalypse nucléaire, et d'un traitement médiatique laissant entendre que le pays entier est paralysé.

Les envoyés spéciaux nous racontent la situation de la capitale depuis Osaka, plusieurs centaines de kilomètres au sud, où il ne se passe rien depuis vendredi dernier.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire