jeudi 26 avril 2012

Droit de vote des étrangers

Un des sujets de l'entre deux tours semble être la question du vote des étrangers aux élections locales. A l'heure actuelle, seuls les citoyens européens y ont droit (depuis 1998 me semble-t-il). Un des candidats qualifiés pour le deuxième tour défend l'extension de ce droit aux autres nationalités (F. Hollande), tandis que l'autre y est fermement opposé (N. Sarkozy).

A voir certaines réactions, on pourrait croire qu'étendre ce droit à tous les résidents étrangers (sous conditions) est quelque chose d'horrible, qui remettrait en cause tous les fondements de la République.

Visiblement, ce terrible danger a été sous-estimé par l'Irlande, puisque je peux voter aux élections locales dans mon pays de résidence. C'est le cas pour tous les résidents étrangers, quelque soit leur nationalité, depuis 1963 !
Il suffit d'avoir 18 ans ou plus au 15 février de l'année en cours, et d'être présent sur le territoire légalement depuis au minimum le 1er septembre de l'année précédente. D'après ce que j'ai lu, ces conditions sont beaucoup plus légères que celles proposées lors de la campagne en France.

En tant que citoyen européen, les mêmes conditions m'ouvrent également l'accès aux élections européennes, et j'ai donc déjà voté à ces deux types de scrutins dans ma circonscription dublinoise.

Les citoyens britanniques, en plus de ces deux types d'élections, peuvent également voter aux législatives, depuis 1985. Le précédent gouvernement avait annoncé en 2008 vouloir étendre ce droit à tous les résidents européens, mais cela n'a pas été mis en place pour le moment. Je ne suis d'ailleurs pas certain que ce soit dans les plans du gouvernement actuel.

Seuls les citoyens irlandais peuvent participer aux deux autres types de consultations (élection présidentielle et référendum).

Presque 50 ans de "vote étranger" en Irlande, et la République n'a pas explosé. Plutôt rassurant, non ?

Je trouve cela d'autant plus rassurant que, durant cette période, le pays a connu beaucoup de difficultés (la crise actuelle bien sûr, mais je pense surtout à la situation en Irlande du Nord, notamment dans les années 70), ainsi qu'une importante immigration au plus fort du Tigre Celtique. S'il y avait un véritable "risque communautariste" comme certains le craignent en France, il aurait largement eu le temps de se manifester ici.

Il y a une raison toute simple à cela : un électeur, étranger ou pas, a un cerveau, et laisser entendre que ce ne serait qu'un mouton au service d'une communauté est très simpliste, et même assez insultant.

Plutôt qu'un risque, je pense que l'extension du droit de vote est une chance, et que cela ne pourrait que favoriser l'intégration des résidents étrangers et leur implication dans la vie locale.

lundi 23 avril 2012

Le vote des français de l'étranger

Vivant à l'étranger, j'ai regardé avec curiosité les résultats concernant les français établis hors de France.

Un premier constant est que notre influence est faible. Il y a certes un peu plus d'un million d'inscrits, mais cela ne représente qu'environ 2.25% du corps électoral, et surtout la participation est souvent plus faible qu'en métropole.
Cela s'explique assez facilement par la distance entre domicile et bureau de vote. En Irlande par exemple, il n'y a des bureaux qu'à Dublin et Cork, et tout le monde ne peut pas se permettre de faire plusieurs centaines de kilomètres pour aller voter.

Cette année, 407 804 se sont rendus dans les urnes, (ce qui donne une abstention à 60.92%, contre 55.78% en 2002 et 57.87% en 2007). Placer ce chiffre face aux résultats nationaux permet de se rendre compte qu'il est plus faible que le nombre de voix obtenues par Philippe Poutou sur l'ensemble du territoire (411 178) ou encore que l'écart entre François Hollande et Nicolas Sarkozy (519 738). Cela relativise notre importance.

Le tableau suivant regroupe les scores obtenus en Irlande, dans l'ensemble des circonscriptions à l'étranger, et sur l'ensemble du corps électoral. Les candidats sont classés en fonction de leur score national. (Note: les chiffres sont arrondis à la deuxième décimale et le total de chaque colonne ne fait donc pas forcément exactement 100%)

Candidat Score en Irlande Score à l'étranger France entière
F. Hollande 31.87 % 28.31 % 28.63 %
N. Sarkozy 26.55 % 38.00 % 27.18 %
M. Le Pen 4.34 % 5.95 % 17.90 %
JL. Mélenchon 10.38 % 8.31 % 11.11 %
F. Bayrou 15.13 % 11.37 % 9.13 %
E. Joly 7.70 % 5.44 % 2.31 %
N. Dupont-Aignan 2.32 % 1.28 % 1.79 %
P. Poutou 0.93 % 0.70 % 1.15 %
N. Arthaud 0.36 % 0.28 % 0.56 %
J. Cheminade 0.41 % 0.36 % 0.25 %
Participation 36.64 % 39.08 % 79.47 %


On lit souvent que les français de l'étranger votent plus à droite que la métropole. Cela est vrai, si on regarde seulement le vote Sarkozy (38% contre 27%, en gros). En regardant de plus près, on se rend rapidement compte que ce n'est pas si simple.

Prenons le total PS, EELV et Front de Gauche. Le score est de 42.05% sur l'ensemble du corps électoral, et de 42.06% pour les français de l'étranger. La différence est infime.

De même, peu de différences chez les quatre plus petits candidats : 3.75% pour l'ensemble des français, et 2.62% pour ceux vivants à l'étranger.

F. Bayrou fait mieux à l'étranger qu'en métropole (environ 2.2 points de plus), mais le plus intéressant est le total UMP+FN, qui vaut 45.08% en France, et 43.95% à l'étranger. L'énorme différence est qu'en France, ce total est à presque 40% pour M. Le Pen, alors qu'à l'étranger il est à plus de 85% pour N. Sarkozy.

En 2007, ce même total valait 41.76% à l'étranger (à environ 92% pour N. Sarkozy) et 41.62% en France (dont le quart pour JM. Le Pen).

Cela montre bien tout le danger pour la droite à faire campagne sur les idées du FN. Cela n'affaiblit pas le total de gauche, mais renforce fortement l’extrême-droite. Les français de l'étranger (un échantillon par nature largement isolé des questions d'insécurité, d'immigration et autres thèmes de ce genre) ne laissent plus aucun doute sur la question.

Les prochains dirigeants de l'UMP seraient sans doute bien inspirés de plutôt parler au centre (total UMP+Modem à 49.37% à l'étranger, mais seulement 36.31% en France) qu'à l'extrême-droite.

(Note: je parle des résultats du second tour dans cet autre article)


Sources :
  • Résultats français de l'étranger : 2002, 2007, et 2012.
  • Résultats à Dublin en 2012.
  • Résultats France entière en 2012.

Retour sur les emails de la campagne

La nouveauté de ce scrutin, pour les français vivant à l'étranger, a été de recevoir des emails de la plupart des candidats. Cela avait fait grand bruit au moment où les messages ont commencé à arriver, au mois de mars, car personne ne s'y attendait.

Il est plutôt pratique de fournir toutes ses coordonnées, email compris, au consulat le plus proche de son domicile. Cela facilite la communication avec leurs services, permet d'être informé en cas de problème, et ouvre également la possibilité de voter par internet pour les élections législatives. Le corollaire est que notre adresse mail figure sur la liste électorale, à laquelle les candidats ont accès.

Ils en ont profité, et peut-être un peu abusé.

Je crois avoir supprimé un ou deux des premiers messages reçus, mais j'ai ensuite essayé de tous les conserver. Alors que la campagne du second tour va bientôt commencer, mon archive compte 34 messages, parmi lesquels :
  • 11 de l'UMP (dont quatre de la candidate aux législatives)
  • 10 du PS (dont seulement un de la candidate aux législatives)
  • 3 de EELV (deux pour la présidentielle, un du candidat aux législatives)
  • 2 du Modem (entièrement dédiés à la présidentielle)
  • 2 du FN (aussi dédiés à la présidentielle)
  • 1 du Front de Gauche (dédié à la présidentielle)
  • 1 de Dupont-Aignan (dédié à la présidentielle)
  • 4 de candidats indépendants pour les législatives (dont trois du même candidat)
Si on laisse de coté ces quatre derniers messages, il est amusant de comparer la proportion de messages avec les résultats auprès des français de l'étranger :

Candidat Proportion de messages envoyés Score au 1er tour à l'étranger
N. Sarkozy 36.67 % 38.00 %
F. Hollande 33.33 % 28.31 %
E. Joly 10.00 % 5.44 %
F. Bayrou 6.67 % 11.37 %
M. Le Pen 6.67 % 5.95 %
JL. Mélenchon 3.33 % 8.31 %
N. Dupont-Aignan 3.33 % 1.28 %
P. Poutou 0.00 % 0.70 %
N. Arthaud 0.00 % 0.28 %
J. Cheminade 0.00 % 0.36 %


Les candidats n'étant pour la plupart pas des nouveaux-venus dans le monde politique, et les résultats n'étant pas surprenant vus ceux de 2007, on peut légitimement se demander à quoi a servi cette distribution massive.

Dans l'ensemble, ces messages ne m'ont pas posé de problème. Leur qualité varie, mais on peut en dire de même des professions de foi reçues par voie postale. Leur quantité peut déranger, mais c'était une première, et les candidats de 2017 feront peut-être preuve de plus de modération.

Parmi tous ces messages, j'en vois quatre qui méritent qu'on s'y attarde.

Le premier d'entre eux, par ordre chronologique, est celui de François Bayrou le 30 mars. Vu son score, cela ne l'a peut-être pas beaucoup aidé, mais le message était bien pensé. En particulier, souligner l'expérience des français de l'étranger et leur proposer d'envoyer leurs avis et analyses me semble une bonne idée, aussi bien d'un point purement stratégique (ça fait plaisir au lecteur de l'email) que parce que ces analyses peuvent en effet être pertinentes sur certaines questions.

A l'inverse, celui reçu de Vincent Feltesse (responsable de la campagne numérique de François Hollande) le 12 avril est un parfait exemple de ce qu'il ne faut pas faire. Le seul objet du message est un appel aux dons, et il est mal avisé de confondre électeurs et militants. Je me demande d'ailleurs si ce type de message est autorisé. L'en-tête indique qu'il a été envoyé "à des fins d'informations comme la loi l'autorise", mais le contenu du message n'est pas vraiment informatif.

Le message de l'équipe de Jean-Luc Mélenchon, reçu le 15 avril, a le mérite d'être le seul à noter que tous les destinataires de l'email ne sont pas ravis de l'avalanche de messages : "Vous recevez ce courrier dans le cadre de la campagne électorale 2012. En effet, tel que le prévoit la loi, les listes électorales consulaires ont été transmises aux partis concourant à l'élection. Lors de la transmission à votre consulat, de votre adresse électronique, vous n'avez pas systématiquement été informés de cette modalité. Nous vous prions dès lors de bien vouloir excuser le désagrément si ce courrier vous importunait."

Le dernier message de la campagne du premier tour, envoyé par l'équipe de Marine Le Pen, a fait parlé de lui car il est arrivé samedi 21 avril, c'est-à-dire hors délai puisque la campagne se terminait le vendredi à minuit. Le Lab d'Europe 1 s'est penché sur ce retard. La défense du FN est de dire que le message a été envoyé vendredi, et qu'il y a eu quelques retards du fait du volume de la liste d'adresses à traiter, mais que ceux-ci "doivent être très marginaux". Mon échantillon est forcément très limité, mais je ne connais aucun français à l'étranger qui ait reçu cet email vendredi, quelque soit le pays de résidence.
On peut aussi noter que changer la date et l'heure sur l'ordinateur d'où l'email est envoyé produit exactement le même comportement (c'est-à dire un email daté du jour voulu mais passant sur les serveurs à la date courante). Difficile de savoir ce qu'il s'est réellement passé, mais on peut supposer que, la prochaine fois, les partis éviteront d'envoyer des messages au dernier moment.

La campagne pour le deuxième tour vient de commencer. Les premiers emails devraient donc bientôt arriver.

Introduction

Je suis français, mais je vis à l'étranger depuis de nombreuses années (Irlande, Japon, et de nouveau en Irlande). Mis à part quelques mois entre octobre 2004 et mars 2005, cela fait maintenant huit ans que je ne vis plus en France. Cela ne veut pas dire que je ne m'intéresse plus à ce qu'il s'y passe. Ma famille, ainsi que beaucoup de mes amis, y vivent. Avec les nouvelles technologies, il est d'ailleurs assez facile de suivre l'actualité française.

La principale différence est que je n'ai pas le vécu sur place, et que j'observe tout cela de l'extérieur. Ce n'est peut-être pas plus mal. Cela me permet en effet d'avoir un regard différent, qui je l'espère vous intéressera.

Je tiens déjà un autre blog, généralement plutôt axé sur la photographie, mais surtout tenu en anglais. Quand le temps me le permet (et c'est malheureusement assez rare), j'ai aussi un blog orienté sciences. A partir d'aujourd'hui, pour tout ce qui aura un rapport avec la France (ou la façon dont les médias français abordent des questions internationales), ce sera ici.

Dans un premier temps, je vais commencer par rapatrier ici les articles postés ailleurs. Cela sera indiqué clairement, et je vous invite à suivre les liens vers les articles originaux, car la discussion en commentaires s'y trouvera.

vendredi 20 avril 2012

[Archive] En prévision de dimanche à 20h

(Ceci est une copie d'un article précédemment posté ici, comme expliqué ). 

Depuis quelques jours, c'est l'affolement général : les premières estimations des résultats du premier tour de l'élection présidentielle seront disponibles en ligne vers 18h30 (puisqu'il n'y aura apparemment pas de sondages sortie des urnes, qui aurait été disponibles encore plus tôt), c'est-à-dire avant la fermeture des derniers bureaux (à 20h).

On peut s'étonner que la situation ne soit abordée que maintenant, car elle n'a rien de surprenant. L'émission "Des cliques et des claques", sur Europe1, s'était par exemple penchée sur la question il y a plusieurs mois. L'un des membres de l'équipe de l'émission, Guy Birenbaum, avait même abordé le sujet encore plus tôt, il y a un an.

Il sera forcément difficile d'évaluer l'impact de la diffusion prématurée des résultats. Pour l'instant, on peut déjà regarder l'écart habituel entre estimations et résultats finaux lors des précédents scrutins. Une différence inhabituelle en 2012 pourrait être le signe d'un fort impact.

En 2002, France2 nous annonce 28.5% d'abstention, puis donne, à 20h, J. Chirac à 20%, J.M. Le Pen à 17%, L. Jospin à 16% et F. Bayrou à 6.6%. On peut par exemple revoir cette soirée électorale sur le site de l'INA, et des extraits sur YouTube. Les résultats officiels, tels que validés par le Conseil Constitutionnel, sont les suivants : 28.4% d'abstention, 19.9% des suffrages exprimés pour J. Chirac, 16.9% pour J.M. Le Pen, 16.2% pour L. Jopsin, et 6.8% pour F. Bayrou. La participation est donc donnée à 40,000 voix près, et les estimations de score varient de moins de 55,000 voix des résultats finaux.

Cela laisse penser que l'impact des fuites serait facile à détecter, mais les élections suivantes, cinq ans plus tard, vont dans le sens contraire.

En 2007, France2 donne 29.6% pour N. Sarkozy, 25.1% pour S. Royal, 18.7% pour F. Bayrou, et 11.5% pour J.M. Le Pen. Là encore, l'annonce est disponibles en ligne. Je ne retrouve pas de vidéo de l'annonce de l'abstention mais, selon le site d'IPSOS, ils l'avaient estimée à 15.5%. Les résultats officiels donnent 31.2% à N. Sarkozy, 25.9% à S. Royal, 18.6% à F. Bayrou, et 10.4% à J.M. Le Pen. L'abstention était quant à elle de 16.2% (une erreur de 325,000 voix). Pour trois de ces candidats, l'écart est supérieur à 0.6 point de pourcentage, ce qui représente environ 220,000 voix compte tenu de la participation. Pour J.M. Le Pen, l'écart monte même à 400,000 voix.

Si on remonte jusqu'en 1995, France 2 annonce l'abstention à 19.6%. J'ai quelques problèmes pour lire la vidéo, mais vers 35 minutes, ces résultats sont disponibles : 23.4% pour L. Jospin, 20% pour J. Chirac, 18.5% pour E. Balladur et 15.7% J.M. Le Pen. Les résultats officiels placent l'abstention à 21.6%, et donnent 23.3% à L. Jospin, 20.8% à J. Chirac, 18.6% à E. Balladur et 15% à J.M. Le Pen. Pour deux des candidats, l'écart est supérieur à 0.7 point de pourcentage (soit environ 210,000 voix vus les suffrages exprimés à l'époque).

On pourrait aller plus loin, et par exemple regarder combien de personnes ont voté entre 18h et 20h aux précédentes élections aux précédentes élections, et regarder si cette proportion augmente cette année. Je n'ai pas les chiffres, mais si quelqu'un veut se pencher là-dessus, l'information sera la bienvenue dans les commentaires.

Il est évident que les estimations vont largement circuler, notamment sur Twitter, et il est raisonnable de penser qu'elles puissent avoir un impact. Par contre, à moins que les variations entre ces estimations et les résultats finaux soient supérieures à un point de pourcentage pour plusieurs candidats, il sera très difficile d'être certain du rôle qu'elles auront joué.